Aussi sculpturalement esthétique et digne d’un musée qu’il soit, le masque ne peut pas, et n’a jamais été censé, se tenir seul, du moins dans l’Afrique de l’Ouest traditionnelle. Le masque n’est qu’un agent, un intermédiaire pour les pouvoirs ancestraux qui animent le monde, et ne peut être compris que dans le contexte de sa conception, à travers le processus créatif par lequel il est incarné, et par l’interaction dynamique du rythme, de la couleur, de la texture qui lui donnent finalement vie.
« Lorsqu’ils sont entièrement activés, les masques deviennent des “esprits rendus tangibles”. »
Chika Okeke-Agula, danseur ouest-africain de mascarades, curateur, artiste, et historien de l’art.

“Masks of Mali” du photographe Anthony Pappone.
« Derrière le masque » en Afrique de l’Ouest
Qu’il soit fait de bois, de cuivre, d’ivoire ou de cuir, qu’il ait une forme semi-abstraite, anthropomorphe ou architectonique, qu’il soit simple ou superstructurel, le masque ouest-africain est moins un cache-visage qu’un interstice, une ouverture à travers laquelle on peut apercevoir le monde des esprits.
L’« esprit » du masque est rituellement transféré depuis les matériaux naturels dans lesquels il est formé par le forgeron-sculpteur. Ensuite enveloppé et caché en attendant l’occasion de l’utiliser, il émerge dans toute sa vigueur lors de la danse masquée traditionnelle qui doit être entreprise pour canaliser l’énergie divine, invoquer la sagesse ancestrale, escorter les défunts, accompagner les initiés, réaffirmer les valeurs sociales, vénérer les vivants, et pour marquer tous les cycles naturels de l’existence humaine, de la naissance à la mort, saison après saison.

« Il y a une forme particulière d’art en Afrique, qui est unique au continent et ne se trouve nulle part ailleurs dans le monde. C’est un art, qui est particulièrement illustré par le masque, et la mascarade dans laquelle ce masque est utilisé. »
D. Duerdon
Masques en mouvement : la danse masquée ouest-africaine
Au rythme des tambours, le masque apparaît. Son porteur cède à son pouvoir. Quand le tempo s’accélère, le sol pulse, les couleurs tourbillonnent, la poussière se soulève, et tout clivage entre le corporel et l’incorporel, le spirituel et le profane, le temporel et l’intemporel, s’évapore.
« L’interprétation africaine de l’espace et du temps souligne la position importante de la tradition de la mascarade dans cet univers. Dans cette conception, [il y a une] gradation peu enviable entre le physique et le spirituel […]. C’est le monde des vivants et celui des ancêtres. L’apparition de la mascarade est donc un processus d’intervention entre ces deux mondes. Elle fournit un lien pour la continuité nécessaire entre les deux. Elle est effectuée pour vitaliser, régénérer et évaluer l’essence de la vie et les enjeux de survie. »
— J. Obaseki [3]

Jusqu’à son éveil, le masque africain est protégé, posé contre les piliers de la culture, en défi au passage du temps. Et, comme la culture africaine dans son ensemble, il a « survécu à toutes les tempêtes, réfugié dans les villages, dans les forêts, et dans l’esprit des générations … »*