Thomas SANKARA “l’immortel” 5/5

Un esprit universaliste et anti-imperialiste

Dans le contexte actuel, certaines citations de Thomas Sankara, chantre de l’anti-impérialisme et de l’anticolonialisme, rejaillissent : « Un peuple conscient ne saurait confier la défense de sa patrie à un groupe d’hommes quelles que soient leurs compétences. Les peuples conscients assument eux-mêmes la défense de leur patrie. » « Thomas Sankara représente pour la jeunesse d’aujourd’hui le symbole d’un Burkina indépendant, d’une Afrique qui se serait libérée de la tutelle de la France .« Mais il ne reprochait rien au peuple français, ni à son gouvernement, répond Fidèle Toé, ministre du travail pendant la révolution (1983-1987). En revanche, il était contre le système capitaliste qui les exploite, ce qui est très différent. Thomas disait que celui qui aime son peuple aime tous les peuples. Il n’y a jamais eu de haine dans ses propos. » « Selon lui, l’ennemi commun était le milieu financier, la cupidité, parce qu’il exploite les masses, déclarent certains acteurs importants de la société civile au Burkina. Thomas Sankara, c’est un esprit universaliste. Il n’y a jamais d’opposition des peuples. »Né en 1949, Thomas Sankara grandit dans un pays qui s’appelle alors la Haute-Volta, colonie de l’Afrique occidentale française depuis 1919 et formé à partir du Haut-Sénégal et Niger et la Côte d’Ivoire. D’où vient sa fibre anti-impérialiste ? « Les enfants européens ne manquent pas, à cette époque, de narguer leurs petits voisins africains, exhibant des chaussures ou des jouets que leurs parents ne peuvent même pas songer à leur offrirA l’âge de 11 ans, le jeune Thomas décide, à quelques jours de l’indépendance, de confectionner en cachette un drapeau de la Haute-Volta. Avec ses camarades, ils descendent le drapeau français de l’école pour hisser le drapeau voltaïque, ce qui entraîne aussitôt une bagarre. »En 1963, au prytanée militaire de Kadiogo, Thomas Sankara subit l’influence d’un professeur marxiste, militant du Parti africain de l’indépendance. Mais c’est à Madagascar, où il assiste en 1972 à la révolution qui renverse le régime néocolonialiste de Philibert Tsiranana, que son idée d’une révolution démocratique et populaire se dessine.

« La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »

Au début des années 1980, les régimes qui se succèdent en Haute-Volta ne remettent jamais en cause le système néocolonial. Thomas Sankara, très populaire au sein de l’armée après s’être illustré dans la guerre contre le Mali (1974), regroupe alors plusieurs officiers dans une organisation de soldats révolutionnaires, le Rassemblement des officiers communistes (ROC), et il contribue à la formation marxiste de beaucoup d’entre eux. Nommé secrétaire d’Etat à l’information puis premier ministre, il prend le pouvoir le 4 août 1983 à l’issue d’un mélange de coup d’Etat et de soulèvement populaire.« L’administration, comme l’armée, était de tendance coloniale. Il fallait que le pays trouve son indépendance », se rappelle Boukary Kaboré, commandant du Bataillon d’intervention aéroporté et ami de Sankara. Un an plus tard, le « camarade président » change le nom de son pays. La Haute-Volta, « un nom qui n’évoque rien pour nous » selon lui, devient le Burkina Faso, ce qui en associant les langues moré et dioula se traduit par « pays des hommes intègres ». A la célèbre citation « La patrie ou la mort » de Che Guevara, il ajoute « Nous vaincrons ! », qui devient la devise du pays. « Il a ainsi voulu envoyer au monde un signal fort, la marque d’une indépendance totale et une franche rupture avec le néocolonialisme », précise Boukary. Les liens que Thomas Sankara entretient avec la France sont complexes. Il les résume en une phrase : « La politique africaine de la France, je la trouve très française », déclare t-il un jour, un demi-sourire au coin des lèvres. Alors qu’il est premier ministre du président Jean-Baptiste Ouédraogo, Thomas Sankara est arrêté le 17 mai 1983, jour où Guy Penne, « Monsieur Afrique » de François Mitterrand, arrive à Ouagadougou. On lui reproche d’avoir fait venir quelques semaines plus tôt dans la capitale le colonel Kadhafi, honni par l’Elysée et le Quai d’Orsay. Thomas Sankara sera libéré quelques semaines plus tard et placé en résidence surveillée

« Un homme un peu dérangeant »

Une fois président, Thomas Sankara, qui sera considéré à tort comme un allié de Mouammar Kadhafi dans la presse française, est invité au sommet France-Afrique de Vittel, en octobre 1983. Il accepte de s’y rendre pour « apprécier et évaluer ce type de rencontre ». Mais c’est le même Guy Penne qui l’accueille à sa descente de l’avion. Le président du Conseil national de la révolution (CNR) considère cette présence comme une provocation et estime « qu’un chef d’Etat doit être reçu par un chef d’Etat ». Furieux, il boycotte le dîner donné par François Mitterrand en l’honneur des présidents africains.En novembre 1986, Thomas Sankara reçoit cette fois François Mitterrand à Ouagadougou. Sans ambages, il lui reproche d’avoir accueilli dans l’Hexagone Pieter Botha, président d’Afrique du sud au moment du régime raciste de l’apartheid. « Nous n’avons pas compris que des tueurs comme Pieter Botha ont eu le droit de parcourir la France, si belle et si propre. Ils l’ont tâchée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité », prévient-il.C’est la première fois qu’en public un dirigeant du pré carré ose critiquer la France, surtout avec des mots aussi forts. C’est un affront. François Mitterrand replie le discours qu’il avait préparé et lui répond sur la question de l’apartheid. Puis, le socialiste affirme : « C’est un homme un peu dérangeant le président Sankara. C’est vrai, il vous titille… Avec lui, il n’est pas facile de dormir en paix. Il tranche trop, à mon avis, il va plus loin qu’il ne faut. » François Mitterrand se décrispe et concède ensuite : « L’Afrique a été pillée. Pendant des siècles, on a volé vos hommes, vos femmes, vos enfants. Le devoir des pays qui ont profité abusivement du travail africain, c’est de restituer à l’Afrique une part de ce qui a été pris au cours des siècles derniers. »Mais Thomas Sankara n’attend rien. Il a toujours refusé que son pays dépende de l’aide extérieure. En 1984, il a ainsi refusé 500 tonnes de riz promises par Moscou. « Ces aides alimentaires installent dans nos esprits des réflexes de mendiant, d’assisté, nous n’en voulons plus ! Il faut produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés », lance-t-il.

« Je ne serai pas là à la prochaine conférence »

Thomas Sankara, qui a appelé à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, provoquant une nouvelle fois l’ire du gouvernement français, prononce son discours panafricain le plus percutant en 1987, au sommet de l’Organisation de l’unité africaine d’Addis-Abeba (Ethiopie). Les pays africains sont alors frappés parune crise de la dette souveraine. « Les origines de cette dette remontent aux origines du colonialisme, explique-t-il. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux qui nous ont colonisés, ce sont les mêmes qui géraient nos Etats et nos économies, ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fonds, leurs frères et cousins… Si nous ne payons pas cette dette, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs ! Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir. » Puis, il lance sur un ton prémonitoire : « Si le Burkina, tout seul, refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence. » Il sera assassiné quelques mois plus tard. Blaise Compaoré, son frère d’armes et son meilleur ami, va lui succéder pendant vingt-sept ans. Ce dernier deviendra un exécutant fidèle des thèses libérales et le successeur de l’ancien président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, en tant que meilleur allié de Paris en Afrique de l’Ouest

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